Publié le 23/07/2025

Dans un contexte de crise d’accès aux soins, la dermatologie, pourtant au cœur de nombreux enjeux de santé publique, fait face à des tensions croissantes. Dans ce nouvel épisode du podcast EffiVox, la Voix de la Com’ Santé, Julia Molkhou donne la parole au docteur Luc Sulimovic, dermatologue libéral à Paris, ancien praticien hospitalier et président du Syndicat national des dermatologues-vénérologues (SNDV). À ses côtés, Lucile Manteau, directrice médicale d’Effiscience, éclaire la dimension stratégique de la communication dans ce contexte de pénurie. Ensemble, ils dressent un état des lieux aussi lucide qu’alerte, sans perdre de vue les leviers d’action — médicaux, politiques et communicants.

Une spécialité en première ligne, mais trop peu formée

Contrairement à certaines idées reçues, la dermatologie reste très attractive auprès des jeunes médecins. « Il n’y a pas un manque d’attrait, puisqu’il s’agit d’une des premières spécialités choisies. Il y a un manque de postes. C’est complètement différent », précise le Dr Sulimovic. Or, la situation est alarmante : on compte aujourd’hui seulement 3,4 dermatologues pour 100 000 habitants en France, un chiffre très en deçà des besoins.

Ce manque de professionnels résulte principalement du nombre insuffisant de postes d’internes ouverts chaque année. Si une augmentation du numerus clausus est amorcée, elle bénéficie d’abord à la médecine générale. La profession plaide donc pour une montée en charge des postes en dermatologie, non seulement à l’hôpital, mais aussi dans les cabinets libéraux : « Nous sommes prêts à recevoir, nous, dermatologues libéraux, un maximum d’internes en dermatologie dans nos cabinets. »

Le transfert de formation en ville est aussi perçu comme une opportunité de mailler plus finement les territoires, notamment pour susciter des vocations locales et faciliter les reprises de cabinet.

Des soins médicaux, loin des clichés

Face aux « critiques » récurrentes selon lesquelles les dermatologues privilégieraient les actes esthétiques au détriment des soins médicaux, le Dr Sulimovic est formel : « Ce sont des émissions surtout faites pour faire du buzz. La caisse d’assurance maladie donne environ 80 consultations par semaine en moyenne pour un dermatologue. » En réalité, l’esthétique ne représente que 10 % de l’activité moyenne d’un dermatologue libéral.

Et les besoins en soins sont réels : cancers de la peau, pathologies inflammatoires chroniques, infections, cicatrisation… « Un mélanome en Île-de-France est pris en charge en huit jours grâce aux équipes de soins spécialisées. » Un exemple parmi d’autres de la réponse coordonnée qui s’organise sur le terrain.

Des réponses concrètes : les équipes de soins spécialisées

Pour faire face à la pénurie, la profession mise sur les équipes de soins spécialisées (ESS). Ces structures conventionnelles visent à améliorer le parcours de soins des patients en favorisant les échanges entre médecins généralistes et dermatologues, notamment via la télé-expertise. Le Dr Sulimovic en est un fervent promoteur : « Ces équipes de soins au niveau d’une région regroupent des dermatologues qui le souhaitent. Le médecin généraliste envoie une photo, le dermatologue répond. Et on évite des délais ou des déplacements inutiles. »

Aujourd’hui, huit ESS sont actives ou en cours de création sur le territoire, et permettent aussi de développer la primo-prescription des biothérapies en ville, évitant ainsi une errance thérapeutique pour les patients atteints de psoriasis, d’urticaire ou d’eczéma sévère.

Communication médicale et sensibilisation : des partenaires clés

La communication santé joue un rôle croissant dans cet écosystème. Lucile Manteau témoigne : « On doit faire en sorte que les patients soient toujours plus encouragés à consulter, qu’ils soient accompagnés dans la mise en place et aussi le suivi des traitements. »

Informer les dermatologues des innovations thérapeutiques, favoriser les coalitions entre laboratoires, professionnels de santé et patients, accompagner la diffusion des connaissances auprès du public : autant de missions essentielles pour faire évoluer les perceptions et faciliter les parcours de soins.

Les campagnes de sensibilisation autour des pathologies dermatologiques dites « affichantes » ont aussi permis d’ébranler certains tabous, en donnant la parole aux patients et en valorisant leur qualité de vie.

Une dynamique de terrain à élargir

À travers l’exemple de la dermatologie, c’est l’ensemble du système de soins qui interroge. Le manque de professionnels, les inégalités territoriales, la complexité des parcours, mais aussi les obstacles à la formation sont des problématiques transversales. Si la dermatologie illustre avec acuité ces tensions, elle révèle aussi la capacité d’adaptation et d’innovation d’une profession engagée.

Comme le souligne Luc Sulimovic, « Il faut une prise de conscience auprès des pouvoirs publics que la dermatologie, c’est important. Et plus largement, que la médecine doit rester attractive. » Cela passe par une vision globale, territoriale et collaborative de la santé. L’investissement des praticiens, le soutien des institutions, la contribution des agences de communication et l’implication des patients sont autant de leviers à activer pour faire naître des vocations, renforcer l’accès aux soins et garantir l’avenir de notre système de santé.

👉 Pour en savoir plus sur les actions du Syndicat national des dermatologues-vénérologues : www.syndicatdermatos.org